TOUS LES PRÉTEXTES
Exposition personnelle
Les Arts au Mur artothèque, Pessac.
15.05.23 - 26.08.23

" Laurent Lacotte est d’abord un marcheur. On imagine son pas décidé, sa capacité de mouvement et la vivacité de son regard. C’est un chasseur aux aguets. Il regarde, compose et s’arrête. La scène est là. Elle n’attend plus que l’action. Il y a des choses qui s’agrègent, se mettent à faire sens, font une sorte de puzzle, s’approprient une place et la montée de l’image est en cours. Alors, ça peut être un bloc de pierre sur le bord d’une route, des chaises renversées à proximité d’un lampadaire aux globes endommagés, un dossier de siège démantibulé peut-être de voiture, un jerrycan dans un hangar industriel, une balise maritime échouée sur le sable d’une plage, un arrosoir de jardin immergé dans une retenue d’eau ou le pneu d’une remorque apparemment abandonnée. L’action consiste à écrire, à marquer un passage. Les mots sont comme des flèches qui atteignent leur cible. Ils touchent juste, sautent aux yeux et apportent une dimension supplémentaire. S’inscrivent ainsi regarde sur la pierre, briller sur l’assise d’une chaise, la part manquante sur le reste d’un siège, manifestation sur le jerrycan, s’accrocher sur la balise, soupir sur l’arrosoir et révolution sur le pneu. La photographie documente la trace de l’action. Mais elle a également son exigence. Un cadrage qui détermine une position vis-à-vis du réel. Une puissance de convocation. C’est aussi une œuvre. Texte et image ont ainsi un espace en commun et s’accordent pour faire front dans un contexte spécifique. Les images sont présentées à l’intérieur de leur boîte de transport, déposées à même le sol, et dans l’attente d’une transition. L’exposition est une pause dans une sorte de mystérieuse migration. Sur un mur, l’inscription « ici et maintenant, toujours ailleurs » déjoue les frontières génériques et les partages constitués. En face, un bouchon d’une cuve de fermentation utilisée autrefois pour la fabrique du vin s’impose comme une interrogation lunaire. Entre les deux, une image spectrale d’une zone dévorée par le feu est ponctuée par des souches brûlées recouvertes d’un drap de lin. Laurent Lacotte puise dans diverses pratiques et les autorise à déborder les unes sur les autres, dans une contagion croissante et une efficacité non compartimentée. Sa démarche ne se laisse pas saisir facilement, malgré ses aspects concrets et l’apparente simplicité des formes capturées. Elle déconcerte et cependant elle paraît familière, immédiate. Elle agit comme des propositions de réponses à des questions auxquelles elle prétend ne pas pouvoir répondre. L’œuvre s’ouvre aux bruits du monde, à cette matière qui a quelque chose de choral et de polyphonique. Entre les mots et les images, se produit une conversation où se fait entendre ce qui vient et s’éloigne, apparaît et disparaît, vit et meurt. Il s’agit aussi de s’occuper de ce qui n’est pas vu ou mal vu, de ce qui n’est pas dit ou mal dit et d’explorer les faces cachées du monde, de constituer un savoir qui est l’envers du savoir, l’envers de ce que d’habitude on retient.  "

L'envers du savoir, Didier Arnaudet pour le magazine Junkpage #63, été 2023.

photos : Gaëlle Delefie

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