(...) Laurent Lacotte puise dans diverses pratiques et les autorise à déborder les unes sur les autres, dans une contagion croissante et une efficacité non compartimentée.
(...) Sa démarche ne se laisse pas saisir facilement, malgré ses aspects concrets et l’apparente simplicité des formes capturées. Elle déconcerte et cependant elle paraît familière, immédiate. Elle agit comme des propositions de réponses à des questions auxquelles elle prétend ne pas pouvoir répondre. L’œuvre s’ouvre aux bruits du monde, à cette matière qui a quelque chose de choral et de polyphonique. Entre les mots et les images, se produit une conversation où se fait entendre ce qui vient et s’éloigne, apparaît et disparaît, vit et meurt. Il s’agit aussi de s’occuper de ce qui n’est pas vu ou mal vu, de ce qui n’est pas dit ou mal dit et d’explorer les faces cachées du monde, de constituer un savoir qui est l’envers du savoir, l’envers de ce que d’habitude on retient.
Extrait du texte de Didier Arnaudet pour le magazine Junkpage #63 - été 2023 au sujet de l'exposition personnelle Tous les prétextes à l'artothèque de Pessac, mai-septembre 2023.
(...) Arpenteur du temps présent, l’artiste fait de l’espace public, observatoire privilégié du monde, son atelier de création plastique depuis plus de dix ans. À l’origine du travail artistique de Laurent Lacotte, il y a la déambulation. Laurent Lacotte se déplace et produit des images à partir des lieux qu’il parcourt. Ainsi, par dérives successives, apparaît l’image. Conditionnée par la marche qui permet de se confronter à des situations inattendues, elle témoigne d’une certaine réalité du monde, celle que perçoit l’artiste, affirmée désormais à travers l’usage du mot.
(...) L'art de Laurent Lacotte est un art en résistance. Chaque création est conditionnée par une dimension physique et politique. La première s’exprime dans le labeur, qu’il marche, balaye, couse, réponde au téléphone ou encore défonce, la fatigue physique semble la condition requise pour évoquer le monde. Éprouver son corps pour envisager l’autre. Lorsqu’il performe, Laurent Lacotte se met à la place des gens, opère à chaque fois un transfert, ne triche pas. Depuis toujours, il utilise des matériaux fragiles, précaires, périssables, dans l’élaboration des ses pièces, si bien que celles-ci sont souvent éphémères. L’artiste est dans l’immédiateté du présent que la photographie lui permet de fixer. Si ses interventions perdurent, c’est parce que les images convoquent, non sans humour mais sans se dérober, la part sombre de l’humanité, les tumultes du monde. De ces dérives humaines, l’artiste dresse un catalogue des gestes de l’anthropocène, subjectivisé, poétisé, politisé.
Extrait du texte de Guillaume Lasserre accompagnant le dossier de presse de l'exposition personnelle "Dérives" à l'Urban Gallery, Marseille, mai-juin 2021.
Laurent Lacotte arpente son environnement proche et les territoires où il est invité et c’est au gré de ces déplacements que les pistes surgissent. L’errance comme socle : un paradoxe à l’image de cette pratique prolixe, douce et abrasive, où l’œuvre vient se nicher dans les creux du visible.
(…) Les œuvres de Laurent Lacotte sont autant de gestes feutrés : des déplacements, des prélèvements, des agencements fragiles toujours sur le point d’être engloutis par le fracas du monde. Ce sont comme des petites bulles d’air, des failles qui ouvrent l’espace d’une incursion de pensée, d’une bouffée d’émotion.
(…) Au-delà de la part suggestive des images, c’est sa pratique, sa façon de faire de l’art qui est politique. Laurent Lacotte revendique une démarche qui doit prendre place au cœur de la cité, de la vie sociale. L’artiste est un être perméable qui se doit d'être réactif, constitué par des compétences avant tout humaines : l’attention, la curiosité, la précaution, sont les bases d’une vision sociale horizontale dans laquelle il s’inscrit avec responsabilité et humilité.
(…) Le travail de Laurent Lacotte s’inscrit dans une temporalité croisée où l’éphémère répond à la pérennité. Sa liberté répond à une volonté radicale d’horizontalité artistique et sociale. L’œuvre est partout, dans des formes changeantes et affranchies au maximum des contraintes dogmatiques. La nécessité qui fait loi est celle d’une pratique qui est toujours prétexte à échanger, à générer du mouvement, de l’espace pour penser et créer du lien. Face à la figure du chef d’œuvre s’érige le pêle-mêle, la multiplicité fugace de formes modestes vouées à disparaître pour redevenir poussière.
Extrait de l'article de Noémie Monier "ANTI CHEF-D'ŒUVRE" pour la revue Le Chassis n°4, printemps-été 2018.
Dans l'espace Public
Réalisées depuis le début des années 2010, les interventions et photographies de Laurent Lacotte dans l’espace public expriment un engagement politique fort à travers des gestes furtifs, éphémères, antimonumentaux, s’attaquant à des signes de dysfonctionnement de nos sociétés contemporaines, parfois même à des symboles censés être, pour reprendre le vocabulaire de l’historien Pierre Nora, des « lieux de mémoires », c’est-à-dire des lieux où une histoire commune fédère une nation. Dans les actions qu’il effectue et les détails qu’il observe, l’artiste remet en question le maintien de cette cohésion, attirant l’attention en particulier sur des situations où un esprit démocratique affiché n’est en réalité pas respecté. C’est le cas de l’hospitalité. À l’instar de Jacques Derrida, qui interrogeait la définition de la démocratie à l’aune de cette notion, Lacotte, dans nombre de ses œuvres, montre avec humour mais détermination combien les sociétés occidentales négligent le lien entre démocratie et hospitalité, lien pourtant rappelé notamment dans la devise de la République française par la notion voisine de fraternité, associée à la liberté et à l’égalité. C’est pourquoi dans quelques-unes de ses œuvres les trois couleurs du drapeau français sont présentes, sur un mode ironique, au même titre qu’un autre symbole de liberté et d’accueil, lui aussi puissant mais sujet à caution, la statue de la Liberté. Car s’ils sont de l’ordre de l’inframince, les gestes de Lacotte n’en sont pas moins efficaces et percutants, à même d’interpeler les promeneurs, qui souvent les remarquent sans savoir qu’ils relèvent d’une démarche artistique, leur fonction étant de provoquer les réflexions et les discussions là où elles ont disparu. Dans ce sens, ses œuvres peuvent être interprétées par le biais du concept de « sculpture sociale » inventé par Joseph Beuys, des œuvres qui invitent à amorcer des analyses collectives sur des problèmes qui affectent la société dans son entier. Ainsi, Lacotte se place dans la lignée des artistes activistes en déplaçant le mode opératoire de leurs interventions pour les adapter au contexte d’aujourd’hui, des grands récits vers des actions simples, souvent drôles et poétiques, mais tout autant implacables.
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In the Public Realm
Since the early 2010s, Laurent Lacotte’s politically engaged interventions and photographs in public space have, through the artist’s furtive, ephemeral, anti-monumental gestures, boldly tackled the dysfunction of contemporary society, and sometimes even the symbols that supposedly represent, in the words of historian Pierre Nora, “realms of memory” — places where common history federates a nation. Through Lacotte’s actions and the details he observes, he questions the perpetuation of this cohesion, drawing particular attention to situations in which the so-called spirit of democracy is, in reality, not upheld. Such is the case with hospitality. Like Jacques Derrida, who questioned the definition of democracy in light of this notion, Lacotte, in many of his works, demonstrates with wit and determination how much Western society neglects the relationship between democracy and hospitality, a relationship nevertheless evoked in the motto of the French Republic by the notion of fraternity, and its links with liberty and equality. This idea underlies the ironic presence of the three colours of the French flag in several of his works, as well as that of another powerful yet questionable symbol of liberty and welcome, the Statue of Liberty. Although they may be considered to be infrathin, Lacotte’s gestures are no less effective or striking, even arousing the interest of passersby, who do not always recognize them as works of art, their function being to provoke both reflection and debate in areas where these no longer exist. In this sense, his works can be interpreted via the Beuysian concept of “social sculpture,” inviting collective reflection on problems that affect society as a whole. In this way, Lacotte follows in the spirit of other artist activists who shift the modus operandi of their interventions and adapt them to today’s context: from grand narratives to simple, often humorous and poetic, but equally unforgiving acts.
Vanessa Morisset, 2018.
Revue Esse, N°92 - Democratie
[Translated from the French by Louise Ashcroft]
(...) Davantage que dans la dénonciation des peurs, des cruautés et des lâchetés qui façonnent le moche aujourd’hui, Laurent Lacotte se situe dans l’action. Les photographies de ces Présences ne renvoient pas à des mises en scène : les situations produites par l’artiste sont autant de sculptures éphémères qui s’inscrivent dans le réel. Si l’image se manifeste, elle charrie avec elle, dans cet espace sanctuarisé consacré à l’art, ce que le monde du dehors, voire des dehors, comporte d’obscène et de fané. (...)
Sous le papier glacé, les interventions de LaurentLacotte impriment par-delà la photographie, renvoyant de ce fait le médium au-delà du cliché. En même temps qu’une métaphore passionnée et critique du processus photographique (révéler/fixer), peut-être peut-on voir dans cette présence de parias au sein de lieux d’art -où ils brillent souvent par leur absence sinon symbolique, du moins physique- la mise en oeuvre d’une transformation du monde. L’artiste assume tout à la fois la modestie de son étendue politique et l’infini de sa licence poétique - l’invention, par l’image, de plus beaux demains.
Donner à voir s’avère dès lors aussi nécessaire qu’insuffisant : si, pour Démocrite, "la parole est l’ombre de l’acte", sans doute Laurent Lacotte cherche-t-il à approcher la part d’ombre d’actes politiques quotidiens, qui, avec cette ombre, gagnent en gravité jusqu’à peser dans le réel.
Extrait du texte de Jean-Christophe Arcos accompagnant le dossier de presse de l'exposition personnelle "Présences" à la galerie Les Filles du Calvaire, Paris, mars-avril 2018.
Laurent Lacotte art
Laurent Lacotte artiste